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03 Juin 2020

Heuristiques et biais cognitifs au service du Coaching

Nous avons vu dans le numéro précédent (Introduction aux Biais Cognitifs) que, devant la complexité du monde réel, l’être humain, malgré (ou grâce à) ses capacités biologiques et intellectuelles limitées, perçoit l’environnement comme un modèle simplifié, source de raisonnements et de jugements, donc de décisions et de comportements, généralement adaptés (dits heuristiques) et des fois inadaptés (dits biais cognitifs), donc source d’erreur. Ce sont des raccourcis de pensée qui nous aident intuitivement et automatiquement à décider : fuir, attaquer, choisir… Ce modèle simplifié de pensée, essentiellement inconscient, que Kahneman (2012) appelle Système 1, est donc à la base de la plupart de nos croyances (ressources et limitantes), impactant par conséquent nos comportements. Et si certains de ces biais automatiques peuvent être efficaces dans un milieu naturel (ou « archaïque »), ils peuvent se révéler inadaptés dans un milieu « artificiel moderne », provoquant des anachronismes de pensée et de comportement.  Exemple : le biais de négativité qui nous fait voir le côté « négatif » plutôt que le côté « positif » des choses, biais que nous développerons plus loin, a permis à notre espèce de survivre, mais actuellement risque d’être handicapant.

En résumé, le Biais cognitif (ou raccourci de la pensée) est une heuristique « biaisée » qui – tout en témoignant de nos habilités, savoirs ou compétences-, peut être source de déviation du jugement et du raisonnement.

Pour étayer mes propos, et montrer par là le rôle du coaching en relation avec ces modèles de pensée, j’ai suivi la classification (librement revisitée) de Benson Buster, et n’ai repris succinctement que quelques Biais sur environ 200 déjà recensés. Nous découvrirons que ces biais peuvent donner lieu à des manipulations (la publicité, par exemple), à des préjugés, à des stéréotypes, des distorsions et autres erreurs et croyances limitantes. Bref, nous découvrirons que notre cerveau nous trompe !

Partie 1 :Le BESOIN DE TRAITER LE TROP-PLEIN D’INFORMATIONS

Devant la profusion des informations perçues, notre cerveau trie et filtre. Il y arrive par l’intermédiaire des raccourcis cognitifs (les heuristiques) et nos modèles mentaux, nous économisant ainsi du temps et de l’énergie. Pour ce faire, il recourt à des stratégies pour choisir les informations (ou bouts d’informations), qu’il considère « utiles et utilisables », et que souvent il les surestime. Alors, comment procède notre mémoire pour juger ce qu’elle doit sélectionner comme information avec ce que cela impliquerait comme erreur de jugement et/ou de raisonnement ou manque d’objectivité ? Pour illustrer ce qui précède, nous citerons dans ce chapitre les quelques Biais suivants :

1- La tendance à retenir ce qui est récemment mémorisé ou souvent répété, et délaisser le reste : le Biais de Disponibilité, l’Illusion de Fréquence,  l’Effet de Simple Exposition, l’Effet de Vérité et le Biais d’Ancrage.

2- La tendance à confirmer ou à renforcer nos propres croyances ou à ne pas voir ses propres biais : le Biais de Confirmation, la Dissonance Cognitive et le Biais de la Tache Aveugle.

Sous-Partie 1:La tendance à retenir ce qui est récemment mémorisé (ou souvent répété) et délaisser le reste.

Elle ne manquera pas d’impacter notre capacité de raisonner et/ou de juger et/ou de décider. Parmi les nombreuses heuristiques d’attention et de biais informationnels qui en découlent nous citerons les cinq biais suivants :

1.1- Biais (ou heuristique) de Disponibilité : C’est une extrapolation à partir d’informations qui nous ont le plus impactés ou de souvenirs les plus récents. Ainsi, plus un événement est accessible et plus il semblera fréquent et probable, plus une information est vivante et plus elle sera convaincante et facile de s’en souvenir, et plus quelque chose devient évidente et plus elle apparaîtra causale. Kahneman (2012) considère ces informations immédiatement disponibles en mémoire comme un « processus qui consiste à juger la fréquence par la facilité avec laquelle des exemples viennent à l’esprit. » Quelques exemples inspirés de Kahneman :

  • Exemple 1: Lors du retard du train, on ne parle pas de ceux qui arrivent à l’heure. L’exception devient alors la règle !
  • Exemple 2 : Penser que fumer n’est pas dangereux pour la santé uniquement parce qu’une personne ayant vécu jusqu’à 100 ans fumait trois paquets par jour, en oubliant que peut-être cette personne était un cas atypique.
  • Exemple 3 : Ne pas éprouver le besoin de se vacciner contre la grippe parce que « personne de notre connaissance ne l’a eue l’année dernière. »
  • Exemple 4 : « Au sein d’une équipe, chacun a souvent le sentiment d’avoir fait plus que sa part et a aussi l’impression que les autres ne lui sont pas assez reconnaissants de sa contribution individuelle. » On se souvient donc de ses propres efforts « avec plus de clarté que de ceux de l’autre. » Distorsion souvent source de conflits au sein des couples.

Conséquences ? Cette erreur de jugement est une aubaine pour le marketing ! Comment ? Quand vous allez à un supermarché, vous analysez rationnellement les avantages et les inconvénients de tous les produits ? D’où le processus inconscient de substitution de la question : “Quel est le meilleur produit (ou service) pour moi ? » par « quel est le meilleur produit (ou service) que je connais ? »

Ces exemples montrent non seulement le rôle des émotions dans la « fixations » des souvenirs, mais également comment l’environnement, profitant de notre « paresse cérébrale », peut créer en nous des souvenirs…

Antidote : Cas de la prise de décision :La prise de conscience permet déjà un gain de temps, ce qui permettra à l’interlocuteur d’analyser la situation et, partant, sa résolution. En effet, la réponse la plus pertinente n’est pas nécessairement celle qui nous vient en premier à l’esprit, même si notre intuition se réalise des fois.

À noter que ce Biais de Disponibilité (BC) va de pair avec le Biais de Confirmation (voir ci-dessous). Il est à rapprocher, entre autres, des bais suivants : Illusion de Fréquence (ou le phénomène de Baader-Meinhof), Effet de Simple Exposition et l’Effet de Vérité, avec lesquels le BC est soit en relation de « contamination » mutuelle, soit en relation de « renforcement », soit sous forme de variante (Illusion de Fréquence) comme nous verrons progressivement au fur et à mesure de l’avancement de cette présentation.

1.2- Illusion de fréquence (ou Phénomène de Baader-Meinhof) : Ce phénomène survient lorsqu’une personne, après avoir pris connaissance pour la première fois d’un fait, d’un mot, d’un phénomène ou toute autre chose (souvent étrange ou curieuse), rencontre à nouveau, parfois à plusieurs reprises, cette même chose peu de temps après sa découverte. Cette illusion, statistiquement peu probable, est due en réalité à notre façon de la percevoir. Ce phénomène est renforcé par deux biais : l’Attention Sélective et le Biais de Confirmation.

Antidote : La prise de conscience, en introduisant une dose de doute, nous permet de prendre du recul pour examiner la situation avec plus d’objectivité et d’esprit critique. 

À noter que cephénomène peut se rapprocher du phénomène de « déjà-vu » (ou paramnésie). À relier avec le Biais de Vérité et au Synchronisme (que nous verrons plus tard).

1.3- Effet de simple exposition (ou effet d’exposition) : À force d’être préalablement exposé, de façon répétitive, à un stimulus (une image, quelqu’un, une idée, un produit, un lieu…) celui-ci devient plus positif à nos yeux et on finit par l’intégrer dans notre esprit en tant que premier choix par défaut. Ce stimulus répétitif est inconsciemment interprété par notre Système 1 (intuitif et automatique) comme un signe de sécurité, lui accordant donc plus de valeur. Cette exposition est de nature à altérer notre jugement, voire nos décisions. C’est l’un des nombreux biais sur lesquels s’appuie également la publicité. Exemple : toujours acheter le même type de café moulu par la pub. En effet, lorsque nous n’avons pas la capacité de trouver d’autres alternatives, nous nous rabattons sur ce que nous connaissons.

L’antidote : Examiner quels sont les autres choix possibles dans notre entourage et s’interroger sur le choix que l’on adopterait si nous sommes confrontés à d’autres options, fussent-elles contradictoires !

1.4- Effet de Vérité (aussi connu comme l’effet de validité, l’effet de vérité illusoire ou l’effet de réitération) : C’est la tendance à croire que l’information est correcte après une exposition répétée. La répétition rend les déclarations plus faciles à traiter par rapport à de nouvelles déclarations non répétées, ce qui conduit les gens à croire que la conclusion répétée est « plus vraie », et ce indépendamment de notre profil cognitif particulier Exemple : les fake news, le mensonge, le matraquage publicitaire, la propagande politique, etc. Comme si la répétition créait la vérité !

Ce biais vise les émotions afin de pousser les personnes à croire qu’une affirmation répétée à satiété est plus susceptible d’être vraie ou acceptée comme vérité. Cette technique fallacieuse est largement utilisée en politique, où les slogans finissent par devenir une « vérité » mobilisatrice.

Ce biais est d’autant plus important qu’il est à la base de nombreuses croyances limitantes.  Croyances que le coach doit identifier pour établir une stratégie d’accompagnement de son coaché afin venir à bout des obstacles qui s’érigent sur son chemin de développement.

Des psychologues allemands (Ralph Hertwig, Gerd Gigerenzer et Ulrich Hoffrage, 1997), spécialistes de la rationalité limitée et des heuristiques de jugement, ont montré que la familiarité peut dominer la rationalité et qu’entendre de façon répétée qu’un certain fait est faux peut affecter les croyances de l’auditeur. Kahneman affirme que « la familiarité d’une partie de la déclaration suffit à conférer une impression de familiarité, et par conséquent de véracité, à l’ensemble de la proposition » !

À noter que l’Effet de Vérité est également lié au Biais Rétrospectif, qui est la tendance à réinterpréter rétrospectivement un événement.

Antidote. Se documenter largement et chercher d’autres options. Le Métamodèle de la PNL peut servir de référentiel au coach.

1.5- Le Biais d’Ancrage (Effet d’ancrage ou ancrage mental ou effet de focus) : Dans un contexte donné, les individus ont tendance à utiliser, de façon indue, la première information reçue (ou impression) comme référence, c’est le point d’ancrage.

Cette première impression (chiffre, fait, émotion, produit, personne, etc.) servira pour juger les informations postérieures, voire à les négliger, surtout si elles viennent la contredire. Cela nous empêche d’étudier, sur le même pied d’égalité, les autres options ou nous enferme dans la peau d’un « personnage ». L’ancrage risque de se renforcer avec le temps, ce qui le rendra difficile à modifier. Exemple : le professeur pourrait surestimer ou sous-estimer un élève au début de l’année et en être influencé lors des notes (sévères ou indulgentes) postérieures.

Utilisation : Ce biais peut intervenir dans les négociations, les soldes des magasins ou les menus de restaurants. Il peut être suscité (« ancré ») chez les autres par exemple lors d’une négociation dès qu’on fait une première offre.

L’antidote : Pour éviter ce biais, il faut éviter de se focaliser sur un seul point de référence. Pour ce faire, il faut recueillir sur un sujet donné d’autres « premières impressions » provenant de différentes sources pour désactiver son propre ancrage. Ou bien, dans le cas d’achat/vente d’un biais immobilier par exemple, établir à l’avance un intervalle de prix, avec une valeur haute et une valeur basse et s’y tenir. Dans ce cadre passer à l’étape de l’écrit (dresser liste des « pour » et des « contre ») peut, lors des décisions, s’avérer très utile surtout pour la prise de recul que cela implique.

Conclusion sur la mémorisation sélective :

a- Rester vigilant pour notre cerveau (Système 2 de Kahneman) est fastidieux, mais écouter sa « paresse » et ne pas se donner les moyens d’éviter nos erreurs (Système 1) peut être très coûteux. D’où la nécessité de « réveiller » notre Système 2 pour détecter et analyser les erreurs, nos auto-duperies et examiner d’autres éventualités. Pour cela nous devons nous inspirer de la pensée critique et nous entrainer à introduire une dose salutaire de doute méthodique dans notre esprit.

b- Le coach, pour aider son coaché à déjouer les pièges des biais cognitifs, doit d’abord les détecter (les siens et ceux de son client) ainsi que les erreurs de jugements consécutives. Le coach peut recourir, par exemple, aux Métamodèles de la PNL et aux 14 Patterns d’influence de Robert Dilts.

Mais, au préalable, vous vous demanderez comment se fait-il que nous, êtres « rationnels », voire « experts », nous nous laissions tromper, souvent même après notre prise de conscience ? C’est le rôle, entre autres, de certains biais (Biais de Confirmation, la Dissonance Cognitive et le Biais de la Tache Aveugle, ci-dessous) qui fonctionnent comme des mécanismes « confirmatifs » et/ou « renforçateurs », contribuant grandement à notre cercle vicieux situationnel.

C’est ce que nous verrons au prochain numéro de Aigle 4 (sous-partie 2).

En attendant : Observez-vous, lisez, écrivez vos impressions, doutez, critiquez, argumentez… et posez-vous la question suivante : « Quelles sont mes croyances limitantes ? »

M. Mohamed Rachid BELHADJ
Coach Professionnel certifié
Formateur & Consultant

Article du magazine « AIGLE » 3ème édition