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14 Juil 2021

La protection de la santé du salarié malade

Dans notre droit interne, il n’existe pas une définition du droit à la santé. L’article 31 de la constitution prévoit que « l’Etat, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens disponibles pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir du droit : aux soins de santé à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’Etat (…)».

Le texte de loi portant code de la couverture médicale de base reconnaît expressément le droit à la santé pour la première fois au Maroc. Dans son préambule, ce texte stipule : «…Concrétiser l’engagement de l’Etat, qui consacre le droit à la santé tel que prévu par les conventions internationales, la présente loi constitue le parachèvement de l’expérience du Maroc en matière de couverture médicale et consolide les droits acquis par les citoyens marocains bénéficiant d’une assurance maladie…» (Dahir n° 1-02-296 du 25 rejeb 1423 (3 octobre 2002), portant promulgation de la loi n° 65-00, portant code de la couverture médicale de base).

Il est difficile de cerner le sens du droit à la santé à la lumière de l’article 31 précité de la constitution. Ce qui est certain, c’est que la constitution ne garantit pas la santé. Elle prévoit, tout simplement, de mobiliser les moyens pour assurer l’égalité d’accès aux conditions permettant de jouir du droit aux soins de santé (Mohamed EL YAÄGOUBI, « Le droit à la santé ». Revue Marocaine d’administration locale et de développement(REMALD), n° 105-106 juillet- octobre 2012, p. 69).

Dans le monde du travail, la protection de la santé du salarié malade, concerne-t-elle seulement sa santé au travail ou sa santé dans sa globalité ? Sur ce point, il faut s’interroger sur l’interférence de la vie privée sur la vie professionnelle lorsqu’il est indiqué que le salarié doit prendre soin de sa santé soit par le sport ou le cas contraire l’interdiction de l’utilisation abusive dans la vie privée de substances interdites ou d’alcool, ce qui peut avoir des conséquences directes sur l’activité professionnelle.

L’expression même de «salarié malade» met en tension la dimension professionnelle (rappelée par le substantif) et la dimension personnelle, voire intime (à laquelle renvoie l’adjectif qualificatif) de la vie. Reste néanmoins qu’à défaut de pouvoir donner à la maladie une définition substantielle, il est possible d’en décrire les manifestations. Elle se présente en effet comme un ensemble de signes cliniquement perceptibles au développement aigu ou chronique ou encore, si l’on exclut le paramètre de l’évolution, comme un ensemble de phénomènes morbides rassemblés sous le vocable de « syndrome » (Sylvie Bourgeot et Pierre-Yves Verkindt, « La maladie du salarié au prisme de la distinction de la vie personnelle et de la vie professionnelle ». Revue du Droit social 10/01/2010, p. 56).

Habituellement, l’état de santé d’une personne, et tout particulièrement sa maladie, relève de sa vie privée. Pour le salarié, son état de santé échappe au domaine d’intervention de l’employeur, « sous la seule réserve d’inaptitude physique du salarié à exercer les fonctions pour lesquelles il a été embauché. Le médecin du travail est d’ailleurs tenu au secret professionnel à l’égard de tous, y compris de l’employeur.

L’obésité, la séropositivité ou tout autre handicap physique susceptible de choquer l’employeur dans ses goûts ou dans ses convictions ne sauraient donc donner lieu à aucune sanction » (Olivier de Tissot, « La protection de la vie privée du salarié ». N° 3 Revue du droit social du 10/03/1995, p. 222).

Incontestablement, le congé de maladie relève de la vie privée du salarié, par opposition à sa vie professionnelle, en conséquence, il échappe pendant cette période au lien de subordination inhérente au contrat de travail, l’employeur n’a pas le droit de prendre des décisions vis-à-vis du salarié malade en suspendant son contrat par exemple. A cet égard, la cour de cassation marocaine a décidé que « Il incombe au salarié d’apporter la preuve de ce qu’il a bien remis à son employeur, en l’occurrence, le certificat médical justifiant son absence.

Dans l’impossibilité d’apporter cette preuve, l’absence est considérée comme irrégulière et justifie le licenciement immédiat du salarié, sans préavis ni indemnité, pour faute grave » (Arrêt de la Cour Suprême n°452, du 18 juillet 1988, dossier social n°8046/87).

En revanche, la cour de cassation a décidé dans un arrêt que l’absence justifiée par des certificats médicaux sans dépasser la durée prévue par l’article 272 du code du travail est celle de 180 jours d’une manière continue, ne peut pas entraîner un manquement au salarié à ses obligations contractuelles, et toute décision de résilier le contrat est abusive (Arrêt de la cour de cassation du 18/06/2008 numéro 709 dossier numéro 07/552. Source : Le rapport annuel de la cour de cassation de l’année 2008, p. 227).

En revanche, en application des dispositions de l’article 271 du Code du travail, l’employeur a le droit d’envisager une contre-visite médicale pour s’assurer de la réalité de la maladie du salarié en arrêt maladie : «L’employeur peut faire procéder à une contre-visite du salarié par un médecin de son choix et à ses frais pendant la durée d’absence fixée par le certificat médical produit par le salarié».

A cet égard, la cour de cassation a décidé dans un arrêt que lorsque le salarié qui ne puisse pas rejoindre son poste à cause d’une maladie, il doit informer son employeur dans un délai de 48h à partir de la date de son absence et si son absence a dépassé plus que quatre jours, il doit envoyer un certificat médical et le contrat prend fin par la volonté du salarié à cause de son abandon du poste. (Arrêt de la cour de cassation du 28/12/2011 n° 1772 – dossier n° 10/838 source : revue de la jurisprudence de la cour de cassation n° 75, p. 289.

Dans le même sens un arrêt de la cour d’appel de Kenitra du 26/02/2007 n° 204 dossier 06/174. Source : revue alichaaa n° 37 et 38, p 338 et la suite). Lorsque l’employeur serait informé de la maladie en raison d’un arrêt de travail établi par le médecin traitant, peut-il prendre l’initiative de faire une contre visite à l’occasion de cet arrêt de travail ? Autrement dit, est ce que le fait de contrôler le salarié malade à son domicile ne constitue pas une violation à la vie privée du salarié ? Le droit du travail a reconnu à l’employeur de faire procéder à une contre-visite médicale par un médecin qui n’est ni le médecin de caisse, ni le médecin traitant, ni, faut-il le préciser, le médecin du travail.

Le salarié malade tient à la subsistance pendant le temps de l’arrêt de travail d’une obligation de loyauté à la charge du salarié. Dans le cadre de la visite de reprise ou en dehors de tout arrêt de travail, le médecin du travail se trouve directement placé au point de contact entre la vie privée, du travailleur et la vie professionnelle.

C’est d’ailleurs cette situation qui constitue le cœur de sa mission en matière d’inaptitude médicale et qui fonde le caractère exclusif de son intervention. Certes, il n’a en aucune manière le droit de donner à l’employeur la moindre information de nature médicale au point même que s’il sollicite des examens complémentaires dont le coût sera en définitive supporté par l’entreprise, il lui appartient de veiller à ce que la nature de ces examens reste inconnue de l’employeur(Article 271 du code du travail Marocain).

En effet, le médecin mandaté par l’employeur obtiendra par ce dernier l’adresse personnelle du salarié sans que cela puisse être considéré comme une atteinte à l’intimité de la vie privée. En tout état de cause, le médecin de l’entreprise est soumis, comme tout médecin, au secret médical et professionnel. Il ne pourrait en conséquence fournir à l’employeur des informations sur l’état de santé du salarié. Il lui appartient seulement d’émettre un avis sur la question de savoir si l’arrêt de travail du salarié est toujours justifié par son état de santé ou non.

La cour de cassation a affirmé que « L’employeur n’est pas tenu de réaffecter l’employé inapte à exercer son travail d’hôtesse de l’air comme le spécifie le contrat de travail qui prévoit également sa résolution en cas d’incapacité dans un autre service au sol ; dès lors l’employée ne peut prétendre à aucune indemnité pour rupture abusive du contrat, devenu impossible à exécuter » ( Arêt de la cour de cassation n°271 du 25 Masr 2003. Dossier n° 777/2002).

Le médecin-contrôleur est tenu au secret médical comme tout médecin et n’est pas en droit de fournir à l’employeur des informations à caractère médical concernant le salarié. L’employeur et le médecin sollicité par lui choisissent les dates et heures de la contre-visite sans avoir à prévenir le salarié par avance.

Elle s’effectue au domicile du salarié, ce qui pose nécessairement la question de la protection du domicile et de la vie privée du travailleur (Pierre-Yves VERKINDT, « Maladie et inaptitude médicale » Répertoire de droit du travail – Janvier 2017, p. 29. La Cour de cassation Française considère sur ce point que l’employeur peut, sans commettre d’atteinte à la vie privée du salarié, communiquer au médecin-contrôleur l’adresse personnelle du salarié (Soc. 2 juin 1981, no 80-10.93, Bull. civ. V, no 480) qui n’est pas en droit au demeurant de dissimuler son adresse (ou sa nouvelle adresse).

Il appartient au médecin-contrôleur procédant à la contre-visite de décliner ses titre et identité ainsi que l’objet de sa visite. S’il ne le fait pas, le salarié est parfaitement fondé à refuser la contre-visite sans s’exposer à perdre le bénéfice de l’indemnisation complémentaire (Pierre-Yves VERKINDT, « Maladie et inaptitude médicale ». Répertoire de droit du travail – Janvier 2017, p. 29).

Le salarié est créancier d’un droit au secret sur son état de santé. Ce droit ne devrait comporter aucune dérogation et être protégé contre toute forme et tout risque d’intrusion de l’employeur, dont il est bon de rappeler qu’il n’est qu’une « autorité » purement privée.

Ce droit au secret se traduit par ailleurs par le nécessaire respect du secret médical par le médecin du travail (Sylvie Bourgeot et Pierre-Yves Verkindt, « La maladie du salarié au prisme de la distinction de la vie personnelle et de la vie professionnelle ». Revue du droit social 10/01/2010, p. 56). C’est ainsi que le dossier médical constitué par le médecin lors de l’embauche et même au moment de l’exécution du contrat de travail ne peut être communiqué qu’aux médecins inspecteurs du travail ou à la demande de l’intéressé au médecin de son choix. Ce dossier doit être protégé de façon absolue contre toute inviolabilité de l’employeur.

 

M. Brahim ATROUCH

Docteur en Droit,
Professeur universitaire.

Article du magazine « AIGLE »9ème édition