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25 Mai 2022

AVIS D’EXPERT : Les soft skills entre deux mondes : éducation et entreprise

Les compétences cognitives et comportementales sont désormais très demandées dans le milieu de travail. Parallèlement, il devient courant de lire dans les CV des jeunes lauréats abordant leurs premiers emplois des indications sur leurs « soft skills ». Ces compétences liées à la personne sont communément nommées soft skills. C’est là une anglicisation qui rend le mot attractif et donc très usité : lorsqu’on en effectue une recherche sur Google (18 mars 2022), ce dernier laisse apparaitre une occurrence de près de 2,7 milliards de résultats. Lorsqu’on procède à la même recherche avec l’équivalent en langue française (compétences comportementales) ou en langue arabe (المهارات الناعمة) on obtient une occurrence respective de 2,5 millions et 0,3 millions.

S’il y a un consensus sur le sens des soft skills, il y a de fortes divergences sur la nature de ces compétences personnelles et sur leurs nombres : les compétences douces (ainsi aussi sont-elles nommées) à maîtriser en entreprise sont au nombre de 4, de 5, de 7, ou encore de 12 ou de 15 ! C’est certes perturbant mais compréhensible dans la mesure où le périmètre des soft skills à adopter ou maîtriser dépend de l’angle de vue selon lequel on aborde ce sujet.

Dans un contexte de mondialisation, imprégné de changements permanents, quelques trait dominants caractérisent désormais le monde économique, des organisations et du marché de travail : la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté. Ce contexte impose la question majeure de savoir quelles compétences faut-il pour demain. A cette question deux réponses, très complémentaires mais appartenant à deux logiques différentes sont apportées, l’une issue du monde des entreprises et l’autre du monde de l’éducation.

Attentes du monde des entreprises : le forum économique mondial (FEM)

Le FEM, une fondation regroupant plusieurs dizaines de pays et plusieurs centaines d’entreprises (www.weforum.org), produit des rapports annuels dont celui qui offre une vision prospective sur les emplois et les compétences de demain. Ces rapports montrent par exemple à quel point certaines compétences douces font l’objet d’intérêt grandissant et d’autres au contraire

seront de moins en moins sollicitées. Parallèlement, ces rapports dressent un classement des soft skills les plus demandées et attendues dans un future proche telle que l’analyse critique et l’innovation, l’autoapprentissage, la résolution des problèmes en contexte de complexité, l’analyse et pensée critiques, sens d’initiative et de créativité, etc.

Il est utile de noter qu’à l’observation des différents rapports annuels du FEM, il apparait que les compétences attendues par les entreprises ne sont pas figées mais changent à travers le temps : la nature même des soft skills demeure globalement stable mais leur priorisation évoluent. Également, ces soft skills ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre et d’un secteur à l’autre . Cette remarque est fort importante pour nous mettre en garde contre toute tentative de généralisation ou de transposition !

Logique éducative dans un monde en changement : le projet P21

De l’autre côté de la rive, face à l’employeur et au monde économique, le système éducatif se pose la question sur quelles compétences faut-il focaliser pour et dans l’enseignement au profit de jeunes afin de les préparer à leur futur. Le projet P21 (Partnership for 21st century learning skills) qui a été mené aux États-Unis mais aussi, son équivalent, au sein de l’OCDE (https://education-reimagined.org)  a  permis  de  tracer les grands fondements d’une stratégie d’éducation préparant les jeunes à affronter les besoins du 21ème siècle. Cette démarche est d’autant plus cruciale et salutaire que plusieurs études prospectives affirment que 60% à 70% des métiers de demain, à l’horizon 2030, ne sont pas encore connus aujourd’hui !

Le projet aboutit à un modèle qui regroupe les savoirs et les différents types de compétences que devra avoir un jeune élève ou étudiant pour pouvoir affronter le monde changeant et complexe de demain .

C’est ainsi que ce jeune devra acquérir, bien entendu, les connaissances de base en fonction de son niveau scolaire mais également, le système éducatif devra lui permettre d’acquérir des compétences douces liées à deux domaines :  « Learning & Innovation Skills » et « Life & Career Skills ».

Il est utile de noter qu’à l’observation des différents rapports annuels du FEM, il apparait que les compétences attendues par les entreprises ne sont pas figées mais changent à travers le temps : la nature même des soft skills demeure globalement stable mais leur priorisation évoluent. Également, ces soft skills ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre et d’un secteur à l’autre . Cette remarque est fort importante pour nous mettre en garde contre toute tentative de généralisation ou de transposition !

Logique éducative dans un monde en changement : le projet P21

Et le Maroc? Échos en provenance des assises régionales pour l’accélération de l’écho système universitaire au Maroc

Ce vis-à-vis entre les préoccupations des entreprises et la proactivité du système éducatif interpelle la situation du Maroc. Qu’en est-il, au-delà des nombreuses réformes qu’a connues l’histoire de l’enseignement supérieur depuis l’indépendance et qui ont toujours négligé la notion de « compétences » ?

Une première historique est à l’actif du gouvernement et du Ministre de l’enseignement supérieur actuels que celle de procéder à une série de rencontres d’écoute et d’échange avec toutes les parties prenantes de l’université : professeurs, administratifs, étudiants, entreprises et associations professionnelles, société civile (associations), collectivités territoriales (région, communes) : du jamais vu !. Ces rencontres ont pour objectif d’intégrer les besoins de ces différents acteurs pour penser l’université de demain au Maroc (https://pactesri.enssup.gov.ma/) dans le cadre plus global du Nouveau Modèle de Développement.

Inscrite dans cette dynamique, l’université Abdelmalek Essaâdi a rendu, le samedi 26 mars 2022, les résultats de plusieurs séries de rencontres avec les parties prenantes au niveau de la région. Parmi les tables de restitution des outputs figurait celle des acteurs économiques, à laquelle j’ai eu l’honneur et le plaisir de participer. J’exprime ici une réflexion que j’ai partagée en public en tant qu’invité intervenant lors de ces assises régionales. En relation avec le déficit du « langage de compétences » dans l’université marocaine, mon objectif a été d’attirer l’attention sur la centralité de cette question tout en commençant par rappeler que l’université a pour mission de participer à l’inclusion économique dans un contexte où le chômage des jeunes et celui des jeunes diplômés est encore trop élevé dans le pays.

Ne disposant pas d’études prospectives sur les besoins futurs des entreprises en emplois et compétences , le Maroc souffre de l’absence d’un langage commun entre université et entreprise. En effet, ces deux organismes ne parlent pas le même langage : alors que l’université privilégie la logique de qualification, l’entreprise met en avant la logique de compétence dans son discours et ses pratiques (pour les deux, j’entends les grandes tendances dominantes).

Les enseignements dispensés à l’université mettent l’accent sur le savoir et les connaissances, nécessaires et importants par ailleurs, mais omettent le plus souvent de préciser les compétences attendues et visées à travers le contenu dispensé. Parallèlement, lorsque les entreprises recrutent, elles le font sur la base des compétences (de manière plus ou moins formalisée, selon le niveau de maturité du système de GRH) qui représentent le potentiel opérationnel du candidat à mobiliser dans l’entreprise. Ballotés entre les deux, les jeunes lauréats des universités mettent souvent en avant leurs qualifications dans leurs CV en raison du fait qu’ils sont moins armés pour les traduire en compétences.

L’institution de ce langage commun nécessite des efforts conjoints entre l’université et l’entreprise pour y trouver un gain mutuel. Du côté de l’université, il est plus qu’urgent de faire une mise à plat des cursus enseignés en transposant systématiquement leurs outputs en compétences (savoir et savoir-faire surtout mais aussi savoir-être lorsque cela est possible et pertinent).

Cette action de l’université devrait être grandement favorisée si les autorités centrales compétentes, Ministère de l’emploi en particulier, veillent à la mise en place d’un référentiel des emplois et des compétences et surtout à le maintenir actualisé et pérenne . Ce dernier aurait plusieurs utilités : il serait un outil de premier ordre pour l’intermédiation sur le marché du travail, il constituerait une référence pour les entreprises pour cartographier leurs emplois et leurs compétences, il serait une référence pour les organismes de formation et l’université pour transposer leurs contenus pédagogiques en compétences. D’un autre côté, l’institutionnalisation des relations Université-Entreprise devra ouvrir des canaux à travers des mécanismes adéquats pour permettre à l’entreprise d’exprimer régulièrement ses attentes futures en emplois et compétences et permettre à l’université un temps de proactivité profitable pour tous. Dans le sens inverse, l’expression systématique des cursus universitaires en compétences à acquérir permettra de faire fonctionner le chemin inverse « Entreprise => Université », celui de la reconnaissance des compétences des employés en diplômes universitaires (un pas vers la certification des compétences, la validation d’acquis d’expérience, ..)

OMAR BELKHIRI

Coach Personnel et Professionnel, Responsable Ressources Humaines